Entretien avec Martine Buton-Simonet

Il y a plusieurs personnages dans ton livre et le premier, celui qui s’impose dès la première page, c’est le quartier Saint-Michel à Bordeaux. Tu y promènes le lecteur et en même temps tu n’en décris que certains espaces. Pourquoi ce quartier semble conduire ceux qui l’ont habité, dont toi-même, à une certaine nostalgie ?

J'ai voulu présenter le quartier, mais pas de façon exhaustive, je n'ai pas fait un guide touristique et c'est pour ça que je ne décris que certains endroits, ceux qu'on pourrait mettre dans un film. Je ne crois pas que ce soit spécialement le quartier qui me donne une certaine nostalgie. c'est plutôt la nostalgie d'une époque, de ma jeunesse. J'y ai vécu les premiers grands moments de ma vie : moments amoureux, moments de découverte de la liberté, de la responsabilté et des choix de vie à faire. Je les ai vécus dans ce cadre-là. Alors, presque quarante ans après, revenant dans ce lieu après une longue absence, mon passé m'a frappée comme une vague. Il fallait que j'y replonge une dernière fois.

Etait-il tel que tu le décris dans les années 70, propice à la rencontre ?

Là encore, c'est sans doute la jeunesse qui est propice à la rencontre. mais c'était déjà un quartier cosmopolite, avec le marché, les petites épiceries et surtout les nombreux petits restaurants pas chers où tout le monde se retrouvait. C'étaient des restaurants espagnols ou portugais, pas encore arabes. Et sur la place, au pied de la tour, il y avait vraiment de la vie. Les gens vivaient à l'heure espagnole. Ils passaient des heures à discuter, plantés par groupe, debout au milieu de la place avec les enfants qui jouaient autour. Je me rappelle que ça m'étonnait vraiment de les voir rester debout jusqu'à dix heures du soir en été.

Les bars étaient-ils toujours des lieux aussi familiers et conviviaux que le Palais de la Bière ? Et qu’est devenu ce dernier ?

Le bar dont je ne parle pas dans le livre, mais qui était notre deuxième quartier général, c'était la brasserie des Arts. Ce que je fais vivre à la petite Laura - la grenadine et la francfort-frites - c'est mon fils qui a vécu ça et aussi les manifs, les slogans... A l'époque on se retrouvait aux Arts ou au Montaigne cours Victor, c'est comme ça qu'on appelait notre écrivain national, au New York ou "Chez maman" rue Duffour-Dubergier. Je pense que les boissons étaient moins chères que maintenant, parce qu'on y était tous les jours, malgré nos maigres revenus. C'est vrai que la vie estudiantine se passe en grande partie dans les cafés et que toutes sortes de jeunes s'y retrouvaient. Nous, nous n'allions pas "en boîte", nos soirées se passaient à refaire le monde autour d'une bière. Le Palais de la Bière s'appelle maintenant "Couscous Victor Hugo" ou quelque chose comme ça. Je n'y suis pas retourné. Le Palais de la Bière n'existe plus.

Au fond, est-ce que ce livre raconte de façon simple des relations propres à cette période des années post 68 : la vie de jeunes étudiants et de jeunes ouvriers qui refont le monde et qui font, défont, refont leur vie en même temps ?

Oui, j'avais envie de présenter à la fois le quartier et la vie qu'on a pu mener, nous, les jeunes des "seventies" dans cette période où tout venait de basculer. Nous avions passé notre enfance avant 68, dans des écoles non mixtes, avec les blouses, l'interdiction de porter des pantalons à l'école et toute une éducation rigide, et on se trouvait d'un coup libres. Pour trouver du travail, dans les relations égalitaires hommes-femmes, sexuellement avec la pilule, tout s'ouvrait à nous. C'était aussi l'époque du retour à la terre, l'écologie qu'on n'appelait pas encore comme ça. On était des sacrés rêveurs tous tournés vers la nature, la création artistique et le social : instits, animateurs, éducateurs ou infirmiers psy... Les quelques ouvriers étaient des intellos en rupture de ban. Ca c'était vraiment l'héritage de 68, être ouvrier par choix et pas par fatalisme de classe. La devise qui nous réunissait aurait pu être "Liberté, Nature, Politique"

J’ai cru percevoir derrière le romantisme de ces années une certaine amertume, pourquoi ?

C'était aussi une période de destruction et reconstruction de repères. On n'en avait plus vraiment. Ce qu'on vivait était tellement différent de ce que vivaient nos parents, que les conflits étaient nombreux. Conflits avec l'autre génération mais aussi conflits intérieurs, d'où les nombreux suicides.

Ton livre s’est-il construit sur une part d’autobiographie, car le lecteur est tenté d’associer l’auteur au personnage principal du livre ?

Oui, bien sûr. Comme beaucoup de premiers romans, il contient beaucoup de moi. C'est même une espèce d'autofiction que j'assume. J'avais aussi des choses à digérer, depuis tout ce temps, et à évacuer. Je crois que je l'ai écrit d'une traite parce que j'en avais besoin. Je me suis beaucoup amusée à parsemer le récit fictif de détails réels. Mes enfants en ont reconnus, transposés dans le livre, ça les a fait rire.

Sans révéler les moments forts de ton livre, on peut dire que les histoires d’amour, de ruptures, de relations familiales déroulent l’histoire. Quel sens donnes-tu à tout cela ? Que cherches-tu à faire comprendre au lecteur dans ce que tu écris ?

Oh je ne cherche pas à lui faire comprendre quelque chose, peut-être juste à lui faire partager des moments de bonheur et à lui confier des moments de peine. Par moment, je me dis que c'est très impudique, mais j'ai peut-être besoin de partager cette histoire pour mettre vraiment le mot fin sur des douleurs trop longtemps présentes. Et puis je suis une adepte du devoir de mémoire. Mais j'ai voulu une fin heureuse.

Tu évoques à un moment des goûts correspondant à deux générations, quel regard portes tu aujourd’hui sur ces différences ? Sur les différences à l'époque ?

Je suis assez mal placée pour en parler parce que moi, j'ai plus écouté Bach et Tchaikovski que Pink-Floyd, je chantais Jean Ferrat et Barbara quand les copains étaient Jimmy Hendrix et Janis Joplin... Il faut reconnaitre qu'entre ces deux styles, il y a un grand écart. Jamais Bach ou Jean Ferrat ne se lâchent. Joplin criait trop fort pour moi... Quant à la différence entre les années 70 et 80 en musique, on peut dire que les musiques des années 80 sont "bien gentilles" après Grateful Dead.

Dirais-tu que ton livre traite de la question de la communication entre des personnes ? Sachant qu’elle n’est pas toujours évidente même entre des personnes qui s’aiment, un couple, une mère et sa fille, des amis.

On voudrait tout se dire, mais on a toujours une part d'ombre, un petit coin secret qu'on aimerait mettre au jour mais qui est impossible à partager. Tout n'est pas transmissible, on sait quelquefois que l'autre ne peut pas comprendre, même avec beaucoup d'amour. Et l'amour, c'est accepter, même sans comprendre. C'est aussi un livre sur la difficulté de faire des choix, d'assumer et de diriger sa vie, quelquefois très tôt ou en étant mal préparé. Gilles n'arrive pas à diriger sa vie. José fait des choix politiques, mais recule devant les choix affectifs.

Comment l’idée d’écriture de ce livre t’est-elle venue cette année ? Quel en a été le déclencheur ?

C'est venu sans préméditation, d'un coup. J'étais dans l'avion pour Lisbonne quand j'ai eu envie d'écrire un petit texte de fiction sur une passagère. Comme ça, pour m'amuser et le voyage n'était pas bien long. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis prise au jeu, j'ai brodé, rajouté un avant, un après. Comment concrètement as tu écrit ce livre : dans quelles conditions ? Comme un puzzle. En construisant des morceaux épars, que j'ai ordonnés ensuite et qui ont construit l'histoire. Je n'avais pas d'idée préconçue, pas de but, pas de réflexion préalable sur l'écriture d'un roman. Ça m'est tombé dessus et je me suis laissée emporter. En ce moment, j'en ai commencé un autre, c'est pareil, j'écris des fragments et quand je les assemble, l'histoire se déroule. J'écris dès que les idées me viennent et que j'ai un moment pour me mettre devant mon ordi ou mon carnet. Je complète des paragraphes, j'en déplace, j'en ajoute...

Qu’est ce qui a été le plus difficile dans ce projet d’écriture ?

Je ne peux pas parler de projet d'écriture, ça s'est déroulé tout seul, j'écrivais deux, trois pages d'un coup. J'en ressentais le besoin. Le plus difficile a été de choisir une fin, et aussi la dernière relecture, la traque aux petites erreurs, aux coquilles. Mais avec Maryse, ma chère éditrice, tout se passe bien.

As-tu appris quelque chose d’écrire ce premier roman ?

J'ai découvert que j'aimais ça !

 



 
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