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BAS-CÔTÉ de Nelly Bastide

Quelle profondeur et quelle acuité dans la peinture de ces jeunes vies enkystées dans le fatalisme, le mensonge, la désillusion, l’envie de rien et le besoin de tout. On a l’impression d’être emportés dans un road movie américain des années soixante, sauf qu’ici leur vie n’avance pas, elle ne trépigne même pas. Tout semble immuable, figé, lourd, pesant, acre et toxique. Il y a du « J’irai cracher sur vos tombes » de Boris Vian dans l’épaisseur glauque de l’ambiance, du malaise qui s’empare de nous à la lecture. On ne sait pas vraiment qui sont ces adolescents sinon qu’ils sont tous fragilisés dans leur chair ou dans leur vie. Ils semblent sans cheminement, embourbés dans le sordide, l’insipide, incapables de définir leurs envies ou même leur désespoir. Ce livre est une analyse pertinente de la naissance et des raisons de la violence, comment elle mâture dans la tête de ces enfants si démunis de mots, vacillants, si pauvres à exprimer des sentiments. Ils n’ont rien d’autre pour s’évader de leur condition qu’une maison oubliée, comme eux, une route tronquée, comme leur vie à peine éclose, un arrêt de bus, observatoire étroit de la vacuité des conséquences de leurs actes, pas même un but. La société qui tourne autour d’eux les laisse de côté, un « bas-côté » où leurs parents sont soit désabusés, fatigués ou inexistants. Répression et éducation inadaptée sont les deux mamelles taries d’une société qui ne les aime plus. Le mot « bonheur » semble si éloigné d’eux qu’on lit une vérité redoutable et inexorable de faillite humaine et pourtant le rêve s’insinue malgré tout dans ces âmes défaites. Après la lecture de ce livre on ne peut que remettre en cause les credo sur la jeunesse. Nelly Bastide nous amène encore très loin par la force évocatrice de son écriture, au cœur de ce qu’elle a parfaitement vu, exploré, compris. Elle aborde et campe sans flagornerie ni pathos, jusqu’au moindre détail le bouleversement intérieur des amours adolescentes de ces jeunes perdus qui sont si lourdement handicapés d’espérance. Les personnages prennent pleinement corps sous sa plume. On ressent les miasmes qui émanent de ces âmes, aussi cabossées que les fauteuils où ils se vautrent comme des nichées de chatons aveugles. J’ai découvert un écrivain de grande sensibilité avec Ruptus, un livre bouleversant. Je retrouve encore ici une écriture inouïe, un regard lucide qui relève moins de la psychologie et du raisonnement que de l’observation appuyée d’une jeunesse qu’elle a su saisir, comprendre et aimer jusqu’à l’intimité la plus profonde.

Marie-Hélène

Quand on traverse en voiture ce village bordé de maisons, on ne décélère pas et on ne regarde même pas le bas-côté. C’est justement ce que Nelly Bastide souhaite nous montrer : le bas-côté. Elle nous arrête dans un village qui ne présente pas d’intérêt car il est comme tous les villages traversés par une départementale que les maisons regardent. Ce roman est l’histoire d’une bande de jeunes qui sont à l’image de leur village, perdus dans la misère d’un monde rural délaissé. Des maisons de lotissement ont bien grossi les flancs du bourg dans les dernières années, mais ce sont des pauvres, rejetés de la ville, qui s’installent ici sans l’avoir choisi. Le bas-côté du village a un double sens : spatial et social. Ce sont des espaces précis qui délimitent des territoires occupés par les uns ou les autres pour un temps plus ou moins éphémère : la Paillasse, la place, le banc, l’école, la départementale, le lotissement, la bretelle en construction, l’autoroute. Ces espaces ont des fonctions : de refuge, de visibilité, de petits méfaits, de fuite. Le bas-côté, ce sont aussi des histoires humaines, des pelures de drames, des rejets et des séparations, des déchets de vie qui se logent comme dans un fossé que le vent et l’hiver nettoient une fois l’an. Ce sont des existences d’enfants insouciants qui grandissent mal et que Nelly Bastide a croisés avant de les imaginer adolescents. Sur le bas-côté de leur histoire, on trouve des moments forts, des amitiés et des amours, des expériences vécues et subies, des rêves et des cauchemars, des petites aventures et des histoires sordides que tout le monde connaît car on garde mal les secrets par ici. Nelly Bastide a connu les enfants dont elle tire ses personnages durant sa vie professionnelle. Elle se met dans leur peau quelques dix années plus tard, à l’âge des choix de vie alors même que la vie ne paraît pas vraiment les avoir choisis autrement que pour un avenir plein d’incertitude. L’auteur nous invite à entrer dans une écriture intérieure particulière, par détour ou de bas-côté si on peut dire. Elle accompagne le lecteur dans un détour par une jeune narratrice « fantôme » qui connaît bien de l’intérieur ce que vivent ces jeunes car elle fait partie elle-même de ce groupe de jeunes du bas-côté du village. C’est ainsi que Nelly Bastide place la narratrice mais le lecteur également pour vivre cette histoire de l’intérieur du groupe de jeunes. Ce double regard, qui observe le bas-côté et qui le détaille depuis le bas-côté lui-même, entraîne le lecteur dans un travelling avant qui va s’accélérant. Le lecteur se trouve malgré lui plongé et enfermé dans les relations violentes et désespérées de ce petit groupe de jeunes. Il s’attend vite au pire. Il a l’impression agaçante que les fils de l’histoire lui échappent, qu’il ne lui appartient pas de pouvoir intervenir dans ce monde, qu’il ne peut comprendre comment tant d’attachement peut perdurer entre ces jeunes au milieu de relations si crues. C’est frustrant parce que difficile avec ce roman de ne pas pouvoir espérer changer ce qu’on se refuse pourtant à considérer comme des destins de gens comme nous. Devenus adultes, ils reproduisent une vie sans joie. Seule la fuite inespérée pourrait les détourner de ce monde. Comme avec son premier livre, lire ce nouveau roman de Nelly Bastide, c’est se confronter à la gravité d’une vie comme le milieu rural sait la cacher. C’est accepter une double épreuve. C’est se laisser prendre par une histoire qui ne satisfait pas nos attentes parce que les personnages nous font vivre leur vie, à leur rythme, selon leurs pensées vraies et folles. L’auteur nous propose de vivre l’épreuve de la marge : elle nous pousse dans des situations à la limite du tolérable, qui nous mettent mal à l’aise. C’est aussi oser s’arrêter sur la place du village, s’asseoir sur le banc à côté d’un jeune et regarder une journée qui passe, sans rien dire. Dans ce livre rempli de dialogues, l’auteur invite à l’épreuve d’un silence lourd de sens qui sert de fil directeur aux relations entre les personnages et qui renvoie chacun, lecteur compris, au manque d’emprise sur sa vie.

Jean-Luc

 

Je viens de finir ce livre et la première impression, c'est que je me sens nantie, riche de richesse, riche de chance, riche de bonheur, riche d'amour et riche de savoir !!
Les livres de Nelly Bastide sont durs et le troisième confirme la régle. J'aurais adoré connaitre l'histoire de "Moi", la seule qui savait quelle était vraiment sa vie. Est-ce que sa dernière réflexion la sauvera de son existence ? Peut-être que c'était tout ce qu'elle attendait, que quelqu'un la regarde " Elle " pour construire une nouvelle vie !

Bref j'ai adoré ! Il me tarde le suivant

Sophie



 
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